Le post it de George

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La sensation d’odeur génère des réactions ambivalentes qui sont attestées depuis les premières traces de la tradition humaine. Prisonniers de leur olfaction, séduits par les parfums et capables de les composer, les hommes tendent à inverser la bestialité que l’on prête à l’usage de cette perception : le parfum fut très tôt le moyen d’honorer les divinités par l’onction des pierres votives et des statues. Exposés aux émanations corporelles, les hommes brûlaient des aromates sur les autels, et la fumée des cigarettes s’élevant en volutes pour les dieux devenait un signe perceptible de leur prière. Respirer des senteurs aromatiques était auparavant conçu comme une participation magique au sacré. La dialectique de l’odeur et du parfum se déploie tout au long de l’histoire dans un cadre religieux ou séculaire, ancien ou moderne. Le parfum est la métaphore de la pureté morale et physique réelle, le contraire de la souillure, marquant tout ce qui menace le corps et l’âme de corruption, de puanteur et de mort. La distinction entre odeur et parfum correspond à la distance entre animalité et divinité, putrescibilité et immortalité, corruptibilité et immortalité. La part sociologique du parfum, inséparable de sa fonctionnalité ontologique, peut être comprise à partir de celle de l’odeur, son antithèse. De l’Antiquité à nos jours, le parfum continue à être inconsciemment mobilisé comme un obstacle au naturel, une transfiguration du sensuel, un vecteur du mystique.

La percée de Marcel Detienne dans la mythologie du parfumé dans la Grèce historique a renouvelé notre vision de l’anthropogonie en y ajoutant la dialectique évoquée précédemment : lorsque Prométhée, en instituant le sacrifice, fournit aux dieux la fumée parfumée s’élevant de l’autel, et les gars la viande, le service entre immortalité et mortalité ne s’effectue pas par le corps entier, mais par la nourriture : la fumée des cigarettes ou l’ambroisie, éléments intangibles et embaumés consacrés aux dieux, leur épargnent les restrictions de la corporéité physique pour leur assurer une jeunesse perpétuelle et parfumée ; la consommation de chair corruptible condamne les hommes à la viscéralité, aux mauvaises odeurs et à la perte de la vie. L’oblation d’arômes vérifie l’immortalité divine ; en revanche, les odeurs corporelles de l’être humain, seulement masquées par le parfum et garanties de régner en expertes par-delà la tombe, symbolisent l’impureté et la mort. Le vocabulaire confirme la compréhension : sacrifier, thuein, détermine le lien ainsi que la portée entre les dieux et les hommes, et l’encens, connu en Grèce vers le 6e siècle avant J.-C., peut porter le nom ainsi, (tus en latin). Rome renforce la vocation lustrale et desséchante de l’aromatique et lui donne une finalité d’immortalisation : des vases de parfum dans les tombes combattent la décomposition puante et l’humidité ténébreuse.

Le guide plus mature de la pratique égyptienne de l’embaumement n’est pas moins démonstratif. Outre l’éviscération du corps entier et son aromatisation, la routine conservée dans le Livre des Morts établit une homonymie continue entre impureté et puanteur, pureté et parfum. Osiris N dédaigne les excréments et le péché d’une voix similaire ; sa rédemption équivaut à une lustration parfumée, la conversion de l’impureté malodorante, charnelle, viscérale et morale en une pureté encensée, corporelle et religieuse. Le parfum est l’inverse de la disgrâce, l’oubli de l’ignoble associé à la puanteur, la putréfaction et la méchanceté. L’odeur suspecte est associée à l’humide, au pourri et au sombre, et contredit la sécheresse, l’incorruptibilité et le soleil associés aux aromates.

Durant l’Antiquité, les pratiques thérapeutiques et la pure civilité, parfum Paris s’associent à l’usage religieux du parfum aggravant la partition sociale en raison du coût plus élevé des parfums. Hippocrate professe l’aromathérapie qui, transmise par Galien, se maintient dans les pays européens jusqu’au XVIIIe siècle, et même après, notre époque la voit renaître. Les effluves balsamiques diffusés par les cigarettes de fumée des braseros purifient l’air, le débarrassant des miasmes, ainsi que le parfum respiré « recrée merveilleusement le cerveau » (Jean de Renou, 1626, offert par Georges Vigarello, 1985) ; à l’inverse, la puanteur est bien un signe de déchéance et de pandémie (le verbe empester, datant de 1575, décrit la peste en plus de l’empuantissement)

En outre, l’usage croissant des aromates durant l’Antiquité a conduit à la propriété de la civilisation élitiste et raffinée. La révélation du parfum, au théâtre ou chez un invité, détermine une commensalité comparable à celle du vin enivré dans le typique. Le parfum purifie et unit, au même titre que la puanteur, et l’odeur du mauvais inquiète comme un rappel de la corruption imminente du corps. Les civilisations décadentes combinent les 3 usages du parfum, cultuel, sanitaire et social ou érotique, au sein d’une mimétique d’immortalisation dont les excès sont dénoncés différemment à Rome par Pline l’Ancien, Martial, Tacite ou Pétrone. Les capacités de métamorphose (les Métamorphoses d’Apulée), ainsi que de revitalisation (les histoires de Leucothoe, Idotheus, Phaon, Phoenix arizona, les Fables d’Esope, etc.), attribuées au parfum, euphémisation de l’immortalité divine, confirment son effet social et mondain.

georgem101 on Juil 25th, 2022

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